Le non verbal : écoutez avec vos yeux

Ecouter les mots, mais aussi tout ce qui n’est pas dit, tout ce qui n’est pas conscient, tout ce qui est caché derrière la communication non-verbale, n’est-ce pas cela vraiment être à l’écoute de l’autre ? On m’a demandé récemment comment je faisais pour trouver les leviers de changements rapidement, créer du lien et poser les bonnes questions qui font avancer la séance dans la bonne direction (pas tout le temps je vous rassure). « Aucune idée » a été ma première réponse, puis j’en ai trouvé d’autres.

Ayant harcelé de questions mes amis, comme Jean Dupré, formateur en hypnose conversationnelle, et Jean-François Hirsch, formateur en Analyse Comportementale, qui eux aussi m’ont répondu souvent avec des « Je ne sais pas », j’ai passé en revue ce que j’avais compris et modélisé chez eux. J’aborde dans cet article une partie de ces réflexions, pas toujours faciles à poser par écrit, et j’espère qu’il pourra vous donner des idées pour améliorer encore plus votre pratique

Un peu de neurosciences

Dans un Le cerveau, ce cinéaste émotionnel, j’évoque Antonio Damasio qui nous dit dans ses livres Feeling of What Happens (anglais) ou Le Sentiment même de soi – Corps, émotions, conscience (français) que notre cerveau nous joue un film intérieur permanent, un mélange de nos perceptions extérieurs et de nos expériences passées, pour nous permettre d’interpréter notre propre réalité. Notre cerveau stocke, avec les attaches émotionnelles, les gestes et les mouvements du corps, qu’il reproduit lorsque ce film intérieur se déroule. C’est pourquoi nous avons des gestes totalement inconscients lorsque nous parlons. Personne ne contrôle la tête qui dit oui ou non, les mains et les bras qui s’agitent lorsque nous décrivons quelque chose ou le corps qui penche ou se recule : c’est automatique. Essayez de dire « non » verbalement en faisait oui de la tête, et vous comprendrez comme il est difficile de contrôler cette partie inconsciente de nous.

Antonio Damasio (et la plupart des livres sur les neurosciences, comme A User’s Guide to the Brain de John J. Ratey), nous montrent que le langage est une partie qui peut être contrôlée consciemment. Certains mots viennent automatiquement, mais notre cortex nous permet d’en prendre conscience avant de les dire et donc de les modifier. C’est ce qui arrive lorsque vous demandez à un ami comment il va, que sa tête bouge de droite à gauche, que ses épaules se haussent, que les traits  de son visage semblent tristes et que vous vous entendez répondre « ça va bien ! ». Vous savez déjà que la réponse n’est pas congruente avec ce que le corps a dit.

Dans la pratique de l’Hypnose, c’est rarement aussi évident (quoique), et c’est même parfois très fin. Partant de ce principe, que le corps parle bien avant les mots, je me suis rendu compte que progressivement je n’écoutais plus. Je regarde. Mais avant d’aller plus loin, je voudrai prendre quelques instants pour casser un mythe trop souvent répandu, et qui n’a aucun sens.

Le mythe des 93%

Albert_Mehrabian est connu pour ses études sur le non-verbal. C’est de ses études que le mythe du « 93% de la communication est non-verbale » est issu. En quoi est-ce un mythe ? Ses études ont été interprétées et généralisées à toute la communication alors qu’il a étudié la communication émotionnelle. Si je vous hurle dessus en vous disant de vous détendre ou que je dis d’une voix douce et apaisante de vous tendre, mes mots n’ont que peu de valeur, cela paraît évident non ?

Dans le reste de la communication, les mots ont une valeur forte et ce sont eux qui donnent du sens à ce qui est dit. Toutefois, la présence du non-verbal, comme évoqué ci-dessus est essentielle, elle est simplement plus discrète et parfois moins visible.

Comme le disait Gregory Bateson « On ne peut pas ne pas communiquer ». Même une personne complètement immobile et silencieuse communique quelque chose. Tout est utile. Comment développer sa capacité à travailler sur le non-verbal ?

Regarder les mots, écouter les gestes

En réfléchissant à la stratégie que j’ai mis en place, je me suis rendu compte que la première chose que je fais est de vraiment regarder l’autre : son visage, son corps, ses mains, ses pieds, sa posture. Lorsque je perçois un mouvement dans le corps, j’écoute, et j’écoute à retardement. « Ah tiens sa main a bougé, il a dit quoi ? » et j’associe alors le geste au mot, je le note mentalement. Si cela se reproduit plusieurs fois, c’est que le geste a une valeur forte associé au mot ou à l’émotion, il veut probablement dire quelque chose à un niveau inconscient.

Au-delà des gestes, il y a le ton, le rythme et l’intonation de la voix qui sont aussi importants. Pensez aux aveugles qui ont des capacités de lecture émotionnelles beaucoup plus fortes que certains voyants. Ils perçoivent les plus petites modifications vocales chez l’autre, et même le son des pas lors des déplacements.

En bref, ce n’est pas les mots qui sont importants mais comment ils sont dits, que ce soit par le corps ou par les intonations.

Ne tombez pas dans l’écueil de beaucoup, qui croient qu’un geste veut toujours dire la même chose. Les gestes sont des indicateurs et non des vérités. C’est la rupture dans la position habituelle et les répétitions qui soulèvent des questions. Ce n’est pas parce que j’ai les bras croisés que je me protège, mais si je les croise juste avant de répondre à une question délicate, cela devient intéressant. Je crois que rien n’est fait au hasard, mais je crois aussi qu’il n’y a pas de vérités tranchées sur le non-verbal, simplement des indices.

Cela peut paraître complexe comme ça, mais cela demande surtout une prise de conscience et une véritable attention à l’autre. Un exercice intéressant est d’enregistrer une émission de télévision, de la regarder sans le son puis de remettre ensuite le son. Ou pour les praticiens en hypnose, d’enregistrer une séance et de la regarder sans le son ou bien de ne prêter attention qu’au non-verbal. Les progrès viennent rapidement.

Les micro-expressions

Difficile de faire un article sur le non-verbal sans parler des micros expressions. Paul Ekman a mis en avant les émotions universelles reconnues dans le monde entier, par tous les êtres humains, quelles que soient leurs origines, au travers de différentes études. Ces émotions sont la peur, la surprise, la colère, le dégout, le mépris, la joie et la tristesse. Ces expressions se manifestent sur le visage de façon très rapides, de l’ordre de quelques millisecondes, et souvent souvent réprimées ensuite par le conscient. Notre amygdale, comme évoqué dans les articles sur ce sujet (partie 1partie 2partie 3, partie 4), sait en reconnaître certaines, et s’active en les percevant, même si consciemment vous ne les avez pas remarquées.

Avec de la pratique et de l’entrainement, vous pouvez apprendre à les reconnaitre, à détecter un dégoût réprimé qui peut permettre de poser une question précise et travailler sur le levier de changement le plus efficace très rapidement. Je vous conseille à ce sujet la série Lie to Me, basée sur le travail de Paul Ekman.

Dans la pratique de l’Hypnose

Pour être honnête, changer ma façon d’écouter a transformé mes séances. Je gagne un temps incroyable, j’ai parfois la plupart des leviers en 2 ou 3 minutes lorsque je laisse la personne au début me parler de son problème, mes questions sont plus précises, plus pertinentes, j’obtiens de l’émotion rapidement car je sais reconnaître le manque de congruence, les mots qui sont simplement « mentaux » et qui n’ont aucune véritable attache émotionnelle. Bien sûr, ça ne fait pas de moi un thérapeute exceptionnel ni un magicien, et il m’arrive encore souvent de me tromper et de « ramer », c’est normal, et si ce n’était pas le cas, je crois que je me serrai déjà lassé de ce beau métier.

Je me suis aussi vraiment rendu compte que l’inconscient est présent en permanence, qu’il répond à chaque instant et qu’il est donc possible de communiquer dès le début d’une séance à deux niveaux. Celui qui occupe le conscient, et celui qui va favoriser le changement, le canal de l’inconscient. J’écoute les réponses insconscientes à mes questions, j’ignore les « je ne sais pas » conscients et je continue.

Le gain de temps et d’efficacité est considérable. Amusez-vous à regarder les mots du corps, et tenez moi au courant de comment cela change votre pratique.

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9 Commentaires

  1. Très bon article, comme d’habitude mon cher Laurent.
    J’aimerais que tu précises quelque chose.
    S’il est difficile de tromper un expert quant à la congruence d’un discours avec une émotion, le cerveau inconscient étant là pour faire apparaître ces gestes inconscients, est-ce que, d’après toi, il est plus facile de tromper le cerveau en se forçant quotidiennement à adopter des gestes qui ne sont pas les nôtres?
    Je veux dire par là, si quelqu’un prend demain des postures de confiance en soi alors que cette personne est mal à l’aise ou généralement timide ou peu confiante, est ce que cette personne va tromper mon cerveau qui va finir par accepter une partie de ces postures « fakées » comme étant sa réalité?
    C’est un exercice généralement utilisé pour booster l’estime de soi. On l’utilise bien entendu car il renvoit une image de confiance aux interlocuteurs du sujet, mais on remarque que progressivement le sujet qui répète cet exercice finit par prendre plus confiance en lui.
    Tu connais toutes les techniques de réalisation d’objectifs où l’on doit « parler au présent, en termes positifs », afin que ça devienne notre réalité, mais penses-tu que ce phénomène fonctionne aussi par le langage corporel?
    bien à toi

  2. Merci Théo,

    Je suis loin (très loin) d’être un expert sur ce sujet mais je crois à la relation corps / esprit, et lorsqu’on mime le sourire et la joie pendant un certain temps on finit par la ressentir vraiment, et avec quelques techniques c’est possible de le généraliser à d’autres situations.

    Au final la question devient est-ce qu’une personne qui change par le corps « ment » ? 🙂

    Après je doute qu’il soit possible, si les questions sont bien posées, de tout contrôler, et ici c’est dans un cadre de séance où les personnes ne font pas forcément attention à leurs gestes.

    Bises

    1. Hello Laurent et Théo,
      merci Laurent pour ce partage, c’est devenu un plaisir de voir apparaitre Hypnoscient sur mon mail.. 🙂 Pour revenir à ce dont parlait Théo, il y a une video de Amy CUDDY sur Ted.com qui parle de ce lien corps /esprit « your body language shapes who you are ».
      Elle dit que, bien sur ,nos mouvements parlent pour nous, cela tout le monde s’en rend compte. Et elle va plus loin et dit que lorsque nous utilisons « expres » certaines postures, nos pensées en sont modifiées.A partir du stylo qu’on tient en travers dans la bouche pour se forcer à sourire et qui nous emmène vers de la joie,( j’ai essayé mais j’ai piqué un fou rire en voyant ma tête donc je ne sais pas si ça compte) elle a commencé à faire des expériences avec des groupes d’étudiants en leur faisant prendre des postures très typiques de confiance en soi et d’assurance. Au bout de deux minutes de ces postures, nos taux d’hormones se transforment, le taux de cortisol (anxiété) baisse et un autre taux d’une hormone qu’on trouve plutôt chez les alpha mâles dominants (et dont j’ai oublié le nom) monte. Deux minutes !
      ce qui me rappelle aussi Mr BROOKs, lors de son intervention à l’Arche qui proposait sous hypnose à ses clients dépressifs de garder les yeux vers le haut ..
      Alors , je crois que le lien corps /cerveau ne se pose pas vraiment .. nous sommes notre corps.
      C’est aussi Francois ROUSTANG dans une de ses videos qui propose à un patient de trouver sa place dans le monde en commençant par s’asseoir correctement dans son fauteuil.;
      Comme tout ceci est passionnant, non ?

      1. Merci pour le commentaire et la réf de la vidéo, je m’en vais regarder ça de suite.
        Pour ma part, j’en suis persuadé de cette relation entre le corps et le mental. Mon travail de comédien m’a souvent permis de tester cette théorie. Pour jouer un personnage, j’étudie d’abord sa posture au sens large et presque automatiquement, ça me permet d’entrer dans son monde, dans sa façon de penser, d’être.

      2. Bonjour Christilla,

        « Prendre place », voilà toute la question.
        Trouver le moyen de bien s’insérer dans l’édifice.

        Belle journée à toi

  3. Bonjour Laurent,
    Je suis abonnée à vos articles depuis peu, et je me régale par votre ouverture d’esprit et la simplicité avec laquelle vous abordez les sujets, sans oublier de donner les références de livres. Comme vous, je ramasse tout ce qui « traîne » concernant l’hypnose et plus encore.
    Pour ce qui est de cet article, lorsque je n’arrive pas bien à interpréter un geste, lorsque la conversation devient monotone et que le client cherche à m’enfermer dans un faux problème ou élude peu à peu le sien, le meilleur moyen que j’ai trouvé, est de déstabiliser complètement le patient. Pour cela je vais poser qu’une question qui n’a rien à voir, faire une mimique n’ayant aucun rapport avec ce qui est dit, baiser les yeux et écrire sans m’interrompre, faire un dessin…enfin bref ! Tout est bon !

    En fait je ne le faisais pas exprès au début, et puis je me suis rendue compte que ça fonctionnait bien.

    Il y a aussi une chose que je fais : j’imite la personne ! Par chance, j’ai ce don de l’observation depuis que je suis petite, j’étais capable déjà de reproduire juste après une minute ou deux, toutes les facettes d’une personne en mémorisant également sa voix. Je constate qu’aujourd’hui ça me sert beaucoup.
    Et le plus beau dans l’affaire, c’est que lorsque je fais écho de l’attitude de l’autre en face, en prenant son ton de voix, si possible le timbre, elle se retrouve face à un miroir, et ça provoque quelque chose dont précisemment elle prend subitement conscience.

    Bon je ne vais pas monopoliser la page, et pourtant j’aurais beaucoup à dire.

    Merci encore pour toutes ces informations et réflexions, j’apprécie beaucoup le partage.
    Isabella

    1. Bonjour Isabella,

      Un plaisir d’avoir quelqu’un du Québec sur cette page ! Merci pour le partage, en effet on pourrait en parler longtemps de ce sujet. J’aime aussi beaucoup l’idée de rupture, qui créé la surprise et amène souvent d’autres réponses intéressantes.

      A bientôt,

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