Le petit guide de la stratégie thérapeutique et des mécanismes humains

Cet article est une sorte de condensé stratégique et d’assemblage des pièces du puzzle de tous les autres articles. Il y a des milliers d’autres choses à dire sur la stratégie, cet article ne regroupe que quelques pistes parmi beaucoup d’autres. J’évoque souvent ici et là que pour moi nous sommes des machines automatiques, il suffit de lire quelques livres sur les biais cognitifs et le fonctionnement du cerveau pour s’en rendre compte (Système 1 Système 2, Sway, Influence et Manipulation), et je vous partage ici mon regard sur le travail stratégique lié à cette machine, et comment l’utiliser avec le travail en Hypnose.

La machine à apprendre

Notre cerveau est une machine à apprendre et apprendre se fait principalement de trois façons :

  • Par la répétition
  • Par les émotions
  • Par association d’idées

Combinez les trois et vous avez le tiercé dans l’ordre : la situation idéale d’apprentissage.

Le truc, c’est que ce petit malin de cerveau a une fonction bien pratique : il passe son temps à apprendre, en dehors de notre conscience. Car s’il fallait qu’on soit en attention consciente d’apprentissage, on aurait pas appris grand chose dans notre vie.

Et donc, nous apprenons tout au long de notre vie, à force de répétitions, d’événements émotionnels et d’associations d’idées. Le cerveau associe aussi parfois les idées de façon assez particulière, c’est une machine « hors contexte » (voir Le Cerveau : ce cinéaste émotionnel et La Conscience cet Interprète) qui peut créer des associations d’idées n’ayant aucun sens pour notre esprit conscient mais énormément pour notre inconscient.

Oui, très bien, et ? me direz-vous.

Et bien prenons l’exemple de quelqu’un qui toute son enfance a été bercé dans l’autorité violente (fouet, baffes, etc. choisissez) et l’exigence par exemple. Quelqu’un qui ramenait un 17/20 et qui s’entendait dire « Pourquoi tu n’as pas eu 20 ? » en se prenant une baffe, ce genre de choses. (Et oui, ça existe).

Qu’est ce que le cerveau d’une personne peut apprendre d’une telle situation ? (je ne dis pas qu’il apprend tout ça, chaque personne est différente et tirer des conclusions hâtives est une erreur fondamentale, ce ne sont que des suppositions ou des exemples tirés de séances réelles) :

– Que pour être aimé, il faut être parfait
– Que ce qu’elle est n’est jamais assez bien
– Que l’autorité fait mal et fait souffrir
– Que l’amour réside dans le rejet de l’autre ou dans son insatisfaction
– Que l’amour c’est de la violence (position d’un parent, censé aimer, protéger, qui en fait violente psychologiquement et physiquement).
– etc.

Plus tard, le cerveau qui peut avoir appris ça ne fait que reproduire, ou rechercher la même chose, comme l’apprentissage de la marche, en mode automatique. Et la personne se met à vivre des relations amoureuses difficiles, violentes, à se sentir nulle, jamais à la hauteur, jamais assez bien, que toutes les positions d’autorité rencontrées sont dangereuses etc.

De mon point de vue, cela parait assez logique, c’est une simple combinaison de l’apprentissage par la répétition, par l’émotion et par l’association d’idées, faite totalement en dehors de notre conscience.

Notez que cet apprentissage a surement été très utile et a permis de « survivre » dans ce contexte, d’en apprendre des valeurs, de vouloir être un parent différent plus tard ou que sais-je encore. Tout n’est pas à jeter dans cet apprentissage.

C’est sur ce regard là que je cherche souvent à savoir comment les personnes ont appris à avoir leur problème, ou comment elles le maintiennent (ce qui pourrait faire l’objet de plusieurs articles d’ailleurs), en restant très clean sur les questions, sans aucun présupposés pouvant insinuer quoique ce soit. La personne fait souvent des prises de conscience auto-recadrantes pour elle (c’est à dire que ça change au moment de la prise de conscience).

Dans ce cas, j’utilise alors souvent quelque chose ressemblant à ce que je décris dans mon article : Se libérer des apprentissages inutiles du passé

La machine à avoir peur

Notre cerveau est aussi une excellente machine à avoir peur. (voir mes articles sur l’amygdale)

Notre monde a évolué beaucoup plus vite que notre biologie et notre cerveau fonctionne encore sur un système de survie, qui nous protège. Les peurs sont une excellente façon de nous protéger et de nous garder en vie.

Toutefois, aujourd’hui, le monde n’est plus forcément aussi dangereux qu’auparavant, et nous ne risquons plus forcément de mourir à chaque fois que nous sortons dehors. Nous avons aussi, comme déjà évoqué dans les articles sur l’amygdale, des peurs fondamentales, ancrées en nous. Je pourrais en citer quelques unes :

  • Peur de l’abandon
  • Peur du rejet
  • Peur de l’étouffement
  • Peur du vide
  • Peur des insectes et des rampants

Dans le travail stratégique, trouver la peur fondamentale qui empêche la personne d’atteindre un objectif me parait essentiel et est particulièrement efficace.

La peur génère 3 réactions possibles (souvent connue sous l’appellation anglaise Fight, Flight, Freeze) :

  • La fuite (Flight)
  • La paralysie ou l’effet « lapin dans les phares » (Freeze)
  • Le combat (Fight). Un tigre vous fonce dessus, vous ne pouvez rien faire d’autre que vous défendre, et toutes les ressources du corps sont mises dans ce combat

Ces trois réactions sont des non-choix et peuvent toutes être qualifiées, pour plus de simplicité, de fuite.

Une peur nous met dans donc l’évitement.

Prenons l’exemple de la prise de parole en public, la première peur qui vient aujourd’hui à l’esprit de plus de 80% de la population quand on leur demande ce qui leur fait le plus peur au monde.

Un simple « Si…Alors… » comme évoqué dans cet article permet souvent de trouver la peur fondamentale.

– Si vous parlez en public, que peut-il se passer ?
– Je me sens mal
– c’est à dire ?
– J’ai peur du regard des autres
– Quand les autres vous regardent et que vous allez parler en public, qu’est ce qui passe ?
– Je me dis que je suis nul
– Et si vous êtes nul, qu’est-ce qu’il se passe ?
– Les autres me rejètent (en général y’a une émotion forte ici).

Ici, certains lecteurs m’ont fait remarquer que leurs sujets disaient souvent « bah rien je sais ! ». Et il est très important de recadrer le sujet. Ce n’est pas une réponse consciente qui est attendue, on se moque complètement de la réponse consciente, la plupart des gens savent très bien  que leur peur n’a pas de sens vu que d’autres le font sans problème. Comme quelqu’un qui a la phobie du métro et qui répondrait « Bah rien ! » à « Quand vous arrivez au métro, qu’est ce qu’il se passe ? » , c’est une réponse consciente. Demandez ce qui se passe à l’intérieur, en dehors de toute interprétation logique consciente ou de bienséance sociale.

Dans cet exemple simplifié, la peur de parler en public est portée par la peur du rejet. Cette peur du rejet met dans l’évitement, dans la fuite.

Le travail consiste alors à chercher le désir derrière la peur, l’envie. C’est aussi en lien avec une question comme « Comment avez-vous appris qu’être en public c’est être rejeté ? » qui donne souvent des leviers pertinents.

Le désir ou la peur derrière l’envie pourrait être de partager, d’échanger, de donner le meilleur de soi, d’enseigner, peu importe, c’est la personne qui vous le dira. Il s’agit alors, sous hypnose, de « recadrer » la peur par le désir, en accord avec les besoins inconscients, comme garder la partie utile de la peur.

L’effet ? Les personnes passent de l’évitement, de la fuite, à un aller vers.

Et comme vous pouvez l’imaginer, il y a une énorme différence entre éviter à tout prix le rejet et aller vers le partage et l’échange. Pourtant la position est la même : parler en public.

La machine à besoins

Notre cerveau, notre corps, est aussi une machine à besoins. Des besoins fondamentaux physiques, comme respirer, manger, boire, et d’autres, comme être aimé, être écouté, reconnu, valorisé, de rêver, d’intimité (voir l’excellente conférence de Jacques Salomé donnée à l’Arche – Partie 1, Partie 2, Partie 3 ou encore l’excellent livre Human Givens)

Si ces besoins ne sont pas satisfaits, comme un moteur alimenté par la mauvaise essence, la machine se met à déconner. C’est notre corps qui hurle à l’intérieur « Hey, ce besoin n’est pas satisfait ».

Le hic ici, c’est que la plupart des personnes cherchent à combler leur besoin à l’extérieur d’eux-mêmes, des achats, l’amour de quelqu’un, gagner au loto etc. et donc avec des choses qui ne dépendent pas d’eux, ou encore qu’ils ont appris d’une certaine façon comme ce besoin pouvait être comblé. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, une personne pourrait croire que le besoin d’être aimé passe par la violence : son apprentissage de l’amour. C’est comme s’il y avait alors conflit entre l’apprentissage, et la nature même du besoin : ça bug.

De même un besoin trop fort, trop élevé, souvent créé par un manque lors d’un apprentissage pose problème. Il y a une énorme différence entre avoir besoin d’être aimé et avoir envie d’être aimé.

Non ? Si 🙂

Caricaturons : avoir besoin de manger parce que vous mourrez de faim n’est pas pareil que d’avoir envie de manger. Dans le premier cas, vous mangerez tout ce qui vous passe sous la main, dans le second cas, vous pourrez prendre le temps de choisir le restaurant qui vous plait.

Dans le cas du besoin d’être aimé, s’il est trop fort, une personne pourra s’oublier totalement dans une relation, se laisser maltraiter, faire tout pour l’autre pour répondre au besoin d’être aimée. Dans l’envie, la relation est souvent plus saine, basée sur des compromis, un échange, un partage : c’est l’équilibre (c’est pas si simple évidemment, mais vous comprenez l’idée).

Dans ce cas-ci, le travail peut s’effectuer à différents niveaux. L’apprentissage, comme évoqué ci-dessus, et aussi de permettre à la personne de se donner à elle-même ce dont elle a besoin (régressions, redirections d’histoire de vie par exemple). L’idée est de passer du « besoin », à « l’envie », ce qui change souvent énormément de comportements, de croyances et de façon de penser.

Conclusion

Cet article, comme évoqué au début, est une sorte de condensé de tous les autres vous permettant de voir quel est mon regard stratégique sur le travail et sur notre fonctionnement. Honnêtement, il est possible d’écrire un livre entier sur tout cela, c’est en cours d’ailleurs, mais je pense qu’en vous passant quelques idées générales, vous pourrez certainement y prêter attention dans votre pratique. Vous aurez aussi sans doute compris que les trois machines citées sont souvent très liées entre elles, et que le travail se fait donc souvent à plusieurs niveaux différents, les apprentissages, les peurs et les besoins.

Si vous avez aimé cet article, pensez à cliquer sur j’aime et surtout laissez-moi vos avis et commentaires ci-dessous

A lire également

24 Commentaires

  1. Franchement intéressant et instructif. J avoue que tes réflexions sont pertinentes et de bons supports de le quotidien. Bravo. Continues. Fière de toi le frangin

  2. Bonjour Laurent,
    J’aime bien ton blog,les articles sont très instructifs,et je les consulte avec plaisir.
    Bonne continuation 🙂
    Zahra

  3. Je trouve votre blog très bien fait et vos articles toujours très pertinents! Toujours un plaisir d y faire un petit tour 🙂

  4. Excellent article Laurent. Un condensé cimme tu dis mais tellement essentiel…vivement le bouquin!

    Petites réfléxions. En ethologie on apprend qu en cas de stress il y a 4 reactions. Fight flght freeze et…comportement de déplacement. Quand deux coqs sont face a face, il n est pas rare ainsi de les voir se mettre a picorer frénétiquement le sol.
    On retrouve ce comportement chez l homme, avec par exemple l onicophagie.

    Autre chose. Pourrais tu stp expliquer quelle différence tu fais entre désir et besoin?

    1. En effet oui, on en avait déjà parlé en plus 🙂

      Désir et besoin c’est comme envie et besoin.

      J’ai besoin d’être aimé
      J’ai envie d’être aimé
      Je désir être aimé

      Les deux derniers ont des présupposés très différents du premier, comme expliqué dans l’article.

  5. Merci Laurent. Tes articles m’aident toujours autant dans ma pratique. J’attends maintenant avec impatience ton livre.

  6. J’ai cherché plein de façon de l’écrire. Je n’ai fait qu’effacer et réécrire mon commentaire. Je préfère décidément le verbal. (Faudra qu’on parle de l’ancrage pourri « qu’est ce que ça raconte sur toi ? » … ah ah ah)
    Hyper pertinent, hyper simple à comprendre, bref un blog que tous les praticiens devraient lire. Merci pour tous tes articles, on a tous quelques choses à en tirer.
    Chapeau bas … enfin casquette basse Monsieur BERTIN. Au plaisir de te revoir …

  7. Merci Laurent pour ce beau condensé :),

    C’est vraiment intéressant d’avoir un aperçu de la manière dont tu fonctionnes en séances.

    *Trépigne d’impatience pour expérimenter tout ça* :p

  8. Rapide, simple et clair, toujours intéressée par tes réflexions. Je me permets de te signaler que l’approche la plus efficace pour aller droit au but concernait l’article « redire moi ça… ». Cette petite méthode m’a fait gagner un temps précieux. Merci pour tous ces partages.

  9. Vraiment intéressants tous ces articles. Vivement le bouquin. En lisant tout cela, je viens de me dire qu’un travail avec toi, doit être hyper intéressant. Je ne regrette pas d’avoir pris un rdv avec toi début Novembre pour un scanner de mon inconscient. En attendant j’espère que toutes ces lectures vont me permettre de réussir mon T2 raté de la dernière fois.
    Mille merci à toi

  10. La classe à Dallas … ou comment jongler entre analytique et synthétique … et updater mon système d’exploitation à chaque nouvel article … merci pour ça aussi… et pour la conf de J. Salomé que je vais m’empresser de visionner 🙂

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