Comment conduire une anamnèse efficace en se posant les bonnes questions ?

D’après ce que je vois chez beaucoup de praticiens, je trouve qu’il manque une certaine logique dans le déroulé du début de séance ainsi qu’une cohérence dans l’orientation du questionnement. En parlant de ce à quoi je prêtais attention en début de séance et dans quel ordre à un groupe de stagiaires, j’ai constaté que ça éclairait quelques lanternes, alors je vous le partage ici. Les questions que je me pose sont dans cet ordre exactement et notez que la plupart des questions sont des questions que je ME pose, et j’oriente mon questionnement en ce sens, ce ne sont pas des questions que je pose à la personne que je reçois.

La demande est-elle réaliste ?

C’est pour moi la première question fondamentale à se poser. Beaucoup de praticiens, sans forcément s’en rendre compte travaillent sur des objectifs irréalistes, comme « ne plus être stressé », « être toujours bien ». Ce n’est pas réaliste et même si l’inconscient de la personne peut s’y adapter, ça rend la séance peu précise et moins parlante pour le sujet et pour le praticien, c’est en général sur des objectifs irréalistes qu’on a l’impression de « tourner en rond ».

La petite soeur de cette question est : « De qui dépend l’objectif ou le problème ? »

Beaucoup de demandes des personnes que nous recevons dépendent en fait de l’extérieur, mon mari/femme/ami/chef/parent/etc. ceci, si seulement les autres ceci, les autres ne me comprennent pas, j’ai besoin des autres pour X ou Y etc.

Notez ça dans un coin de votre tête si ce n’est pas déjà fait :

Tant qu’il y a un élément extérieur responsable du changement ou de sa pérennité, la demande est IRREALISTE.

Est-ce vraiment un problème ?

Avec cette question nous explorons deux éléments importants :

  • Une continuité sur le réalisme de la demande
  • La motivation et la possibilité de changement rapide

Parfois les problèmes énoncés n’en sont pas vraiment, comme une personne qui est stressée avant un examen par exemple, attention au scoop : c’est normal. Ce qui n’est pas « normal », c’est le degré de stress, et on travaille sur le degré de stress, pas forcément son absence.

Beaucoup de personnes, mine de rien, cherchent à ne pas ressentir telle ou telle émotion, à ne pas avoir de questionnement dans leur tête ou que sais-je encore qui font partie de notre fonctionnement en tant qu’être humain. D’autres, fréquemment, cherchent à être parfaits tout de suite et veulent s’interdire tout échec, toute erreur.

Dans ces cas là, la demande est irréaliste et nous sommes dans la continuité du premier questionnement mais au niveau de la problématique elle-même, pas en tant qu’éléments extérieurs responsables ou de demandes trop vagues et obscures.

Pour le second point évoqué ci-dessus, j’ai la croyance que tant qu’une problématique n’est pas perçue comme un problème prioritaire, comme un vrai problème, il ne change pas. Questionner la problématique avec une question comme « en quoi c’est un problème ? » permet d’avoir une montée de la motivation très rapide, une découverte des valeurs de la personne et d’autres effets que je vous laisserai découvrir par vous-mêmes (je vais pas tout vous dire non plus c’est pas drôle).

De quel type est le problème ?

Pour moi, il existe deux grandes familles de problématiques :

  • Celles liées à un problème d’interprétation consciente de quelque chose d’exprimé par l’inconscient
  • Celles liées à des ancrages inconscients (je mets sous le terme ancrages les traumas, micro-traumas, apprentissages et expériences de la vie)

Pour le premier point, si je reprend l’exemple du stress avant un examen, c’est une réaction biologique naturelle, c’est le stress qui dit que c’est important pour soi. A la différence du stress qui dit que c’est dangereux, qui est un stress de protection et de survie, pas un stress de motivation.

Je pourrais aussi prendre l’exemple de la tristesse, émotion fréquente en séance. Beaucoup de personnes s’arrêtent à l’émotion elle-même sans en comprendre le sens et ce qui est beau et utile dans cette émotion. Etre triste de perdre quelqu’un qu’on aime est normal, le contraire ne raconterait probablement pas quelque chose de très beau sur la personne, et donc cette tristesse contient tout l’amour qu’on avait pour cette personne. Rien que ce changement d’interprétation consciente créé des changements thérapeutiques profonds.

C’est à ce niveau que passent souvent les recadrages verbaux thérapeutiques, c’est à dire qui permettent ou créent le changement.

Pour le second point, j’écoute et questionne la personne pour obtenir des informations sur elle, sa vie, son histoire et pour éventuellement y découvrir des expériences encore « collées » à l’intérieur qui tiennent encore en vie le problème. Je vous invite à lire mes autres articles sur la stratégie et sur l’amygdale, vous y trouverez les principes derrière cette idée d’ancrages inconscients.

Très souvent une problématique contient ces deux grandes familles, mais parfois qu’une seule, et quand c’est uniquement la première, celle de l’interprétation consciente, la séance peut se terminer en quelques minutes (façon de parler bien sûr).

Qu’est ce qui a déjà été fait pour que ça change ?

Ici je m’intéresse à ce que la personne a déjà fait elle pour que ça change, que ce soit d’elle-même ou avec d’autres thérapeutes. Ca me donne des informations sur sa motivation, sur ses stratégies de solutions inefficaces ou sur ce qui a fonctionné un temps ou pas du tout avec d’autres approches.

Cette partie est pour moi fondamentale, on y découvre une mine d’informations sur le fonctionnement de la personne très utile dans la conduite de tous les étapes de la séance.

Testez et donnez m’en des nouvelles dans les commentaires.

Qu’est ce qui fait que ça n’a pas déjà changé ?

Avec cette question, j’obtiens toutes les informations liées à l’écologie de la problématique sans forcément poser des « questions d’écologie » parfois trop directes qui font souvent redescendre la personne dans sa motivation. Comme avec la question précédente, les informations récupérées ici permettent souvent d’obtenir des leviers de travail très utiles, et notamment pour tout ce qui est gestion de l’échec, anticipation des résultats, écologie mais aussi pour poser des suggestions post-hypnotiques utiles.

Qu’est ce qui crée le problème ?

Une fois les questions précédentes posées, je commence seulement à m’intéresser spécifiquement au problème. Comment la personne fait pour le créer ? pour le maintenir ? comment fait-elle pour l’avoir encore ? Quand se manifeste-t-il ? Selon quels critères ? Je creuse les déclencheurs de la problématique de façon très spécifique. Je cherche les émotions, les pensées et les images qui sont liées au problème, et qui font qu’il existe encore.

Qu’est ce qui est utile dans le problème ?

Dans cette étape ci, je pose souvent la question qui retourne la tête de beaucoup de personnes : qu’est-ce que votre problématique raconte de beau sur vous ? Et j’obtiens souvent tout ce qui est utile dans le problème, tout ce qui a construit la personne et tout ce qui fait partie de son identité et de ses valeurs de façon positives. C’est une façon d’obtenir l’utilité de la problématique.

Qu’est-ce qui fonctionne déjà bien ailleurs ?

Avec cette question, j’utilise les informations obtenues précédemment pour poser des questions sur ce qui fonctionne déjà bien dans d’autres contextes et avec d’autres déclencheurs. Ca permet souvent de préciser le problème et d’obtenir des informations de solutions.

Ici, on se rend souvent compte que la personne fonctionne très bien à de nombreux niveaux, mais qu’il y a un élément précis dans le problème qui fait que ça ne fonctionne pas comme elle le souhaite, l’affinement du travail ici est souvent déjà suffisant et permet de nombreuses prises de consciences utiles.

Tout ceci permet souvent d’arriver vers la fin du travail et la question suivante.

Comment l’exprimer autrement ?

Avec cette question là nous sommes déjà dans un travail avancé dans la séance, car il ne reste plus grand chose d’autre à faire que de garder ce qui est beau et utile dans la problématique, de laisser partir le reste tout en utilisant le fonctionnement de la personne, ses expériences et ses tentatives de changement passées à son service. C’est ici que vous laissez libre cours à votre créativité en tant que praticien en hypnose.

Conclusion

Comme toujours il n’y a pas de règles, ce sont des principes que j’utilise et que j’adapte à chaque personne que je reçois. La différence entre des principes et des règles est fondamentale, les règles enferment, les principes ouvrent des possibles lorsqu’on est capable d’en choisir plusieurs différents.

Parfois les premières questions ne se posent pas du tout, parfois sur la question du réalisme je vais passer un certain temps, parfois c’est une autre question qui prend plus de temps. Ce ne sont pas les questions qui compte, ce sont les réponses qui y sont données et ce qu’il est possible d’en faire au service de la personne assise en face de vous. Trop de praticiens déroulent des questions jolies ou efficaces sans pour autant écouter les réponses.

Pour résumer, voici les étapes de ma « DO » :

  1. La demande est-elle réaliste ?
  2. Est-ce vraiment un problème ?
  3. De quel type est le problème ?
  4. Qu’est-ce qui a déjà été fait pour que ça change ?
  5. Qu’est-ce qui fait que ça n’a pas déjà changé ?
  6. Qu’est-ce qui créé le problème ?
  7. Qu’est-ce qui est utile dans le problème ?
  8. Qu’est-ce qui fonctionne déjà bien ailleurs ?
  9. Comment exprimer le problème autrement ?

Et enfin, cela faisait un moment que je n’avais pas écrit, j’ai écrit cet article rapidement entre 2 cartons de déménagement, j’espère qu’il vous a plu et si vous avez des questions ou des remarques, c’est comme d’habitude, les commentaires sont là pour ça.

A très vite,

A lire également

27 Commentaires

  1. Merci pour ton article Laurent !
    Il vient très bien compléter et raviver ce que tu as pu nous dire lors du tech 1 à l’Arche, c’est parfait !
    🙂

    Bon déménagement, et vivement le prochain article 😉

  2. Bonjour,
    Merci de partager cet article. Le contenu est précieux. Cela correspond à ce que je cherchais…je ne suis pas praticienne en hypnose, mais je trouve ce déroulé utile à tout praticien. Je débute en tant que praticienne en Intelligence Émotionnelle et Communication Assertive. Merci infiniment car je vais m’en servir….
    Positivement,
    Nora :))

  3. Excellent Laurent, pour ne pas dire F***ing brilliant !
    Merci pour tes articles qui m’ont tellement aidé depuis le début.
    C’est trop bon de lire l’essentiel sans « fluff » !
    Bon déménagement et big hugs to you and your tribe ! ;-D

  4. C’est parfait Laurent. Je recommande ton blog à mes stagiaires, et cet article confirme que j’ai largement raison de le faire. Merci de fournir le seul lieu virtuel de conseils pratiques dans ce domaine.

  5. Très bonne piqure de rappel sur le questionnement et qui évite les égarement des prétextes et les :oui mais ,ou les parce que etc…dans lesquels les clients ont tendances a aller se réfugier ,cela recentre rapidement et nous donne des clés ……perso je remercie guillaume poupard qui nous a appris cela et tellement plus ……en formation de praticien

  6. juste un petit truc qui me chifforne :
    « Etre triste de perdre quelqu’un qu’on aime est normal, le contraire ne raconterait probablement pas quelque chose de très beau sur la personne, et donc cette tristesse contient tout l’amour qu’on avait pour cette personne. »

    tu peux accepter la perte et même t’y préparer, aimer encore la personne sans être triste. ton morceau de texte sous tend l’idée que c’est beau d’être triste et de souffrir….

    très bon article pour le reste! plein de bon sens ce qui est rare en thérapie et en hypnose aussi…

    1. Salut Stéphane,

      Bien sûr qu’on peut se préparer, gérer tout cela en amont etc. Les personnes qui réussissent à le faire on déjà fait quelque part le processus évoqué de garder l’amour qui est dans la tristesse. Ceux qu’on voit en séance l’ont rarement fait, d’où l’exemple.

      Après, je ne fais pas le lien que tu fais en tristesse et souffrir, je dis juste que la tristesse est une émotion naturelle et je sous entends qu’elle n’est pas négative, bien au contraire.

      Et merci pour le commentaire 🙂

  7. Merci beaucoup Laurent pour ces merveilleux partagés et pour la générosité de ces partages!
    Surtout continue comme ça, tes infos sont des trésors!
    Merciiiiiiiiii
    Sophie

  8. Bonjour,
    À travers votre article, je vois que j’ai des similitudes et des différences pour aborder une séance. Une question que je ne me pose pas est « est-ce vraiment un problème? » car même si je suis d’accord avec vous qu’il existe des états « normaux » comme celui cité ou la tristesse après un deuil, ce n’est pas à moi à « juger » de cela. Si une personne vient consulter avec ce « genre » de problème – qui est bien souvent l’arbre qui cache la forêt -, je me demande « de quelle manière puis-je l’aider ? (et d’ailleurs c’est aussi la première question que je pose « en quoi puis-je vous aider? » quand « l’affiliation » est instaurée bien sûr (je me réfère à « l’arbre décisionnel dans le jargon ACC pour m’en assurer)) et je préfère alors LUI demander « en quoi est-ce un problème pour vous? ». J’ai pu constater que bien souvent dans ce genre de cas, pouvoir juste exprimer son « stress », sa « tristesse », c’est à dire « faire sortir » « manifester par le langage » une émotion, celle-ci se fait plus légère. Un « recadrage » permettra alors à la personne de conscientiser « la normalité » de son état ou/et d’aller plus loin si effectivement c’était bien un arbre qui cachait la forêt…
    Merci de cet article même écrit entre deux cartons 😉 car il m’a permis de « revisiter » le cadre dans lequel je fais évoluer ma pratique…belle continuation

  9. Je viens de tester. Le fait d’aborder la problématique très loin dans la DO permet vraiment de se concentrer sur les ressentis et les émotions. J’ai eu beaucoup de « Je me suis jamais posé cette question » et en embrayant sur « et si vous la posiez maintenant, que répondriez-vous ?  » de vraies prises de conscience spontanées et profondes. Et à la dernière question : alors que vous voulez vous vraiment ? « Je veux devenir moi ». Merci Laurent

  10. Super ! Laurent. Comme d’habitude. Je pose / me pose exactement les mêmes questions. La seule nuance que je mettrai, c’est que si la DO n’est pas logiquement construite, ou si les réponses à ces questions ne sont pas précises ou qu’on obtient du « je ne sais pas »…, dans beaucoup de cas, ce n’est pas bien grave. La discussion entre conscients, c’est surtout une façon de se poser et de faire connaissance. Mais est-ce que la personne sait toujours pourquoi son inconscient l’a amené ici ? Une fois en transe, c’est parfois une demande bien plus honnête qui apparait.

  11. Pour moi qui ai besoin de me structurer, ton article est d’une énorme utilité!
    Je pense , du moins pendant un temps, appliquer ce questionnement dans l’ordre. Utile pour faire l’état des lieux comme tu dis ailleurs, je crois, est vraiment important du point de vue stratégique.
    Même si je pose déjà certaines questions que tu énumères, je le fais au feeling mais pas de façon systématique.
    Merci Laurent pour tes articles très riches et utiles au débutant que je suis.

  12. Bonsoir,
    C’est effectivement un article intéressant, certain praticiens ont du mal a faire le « filtrage » des questions à poser et à se poser. Par exemple quelqu’un qui me consulte pour un arrêt tabac et dont la vie est en plein chamboulement (perte d’emploi, séparation, deuil,…) et bien l’arrêt tabac n’est peut être pas la priorité, surtout si c’est sa béquille. L’idéal, selon moi, c’est que le questionnement soit adaptatif selon les réponses du client.

  13. Bonjour, c’est génial ce petit résumé !
    Juste un truc que je ne comprends pas c’est quoi l’écologie de la problématique ?
    Merci 🤩

  14. BONJOUR je reviens d’une formation géniale d’hypnose en présentiel , je débute , je sentais que mon anamnèse avait besoin d’être de plus de compréhension et de sens de fil conducteur . Je vous remercie grandement , vous avez contribuer au lancement d’une jeune femme de 72 ans encore merci.

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