L’induction hypnotique, cette illusion

L’induction hypnotique, qu’est-ce qu’on peut en voir et en entendre sur ce sujet ! Comme si l’induction était le Graal de l’Hypnose, vague sur laquelle surfent allègrement les formations sur la nouvelle induction bidule ou machin qui va permettre de révolutionner votre pratique. L’induction est une illusion. Pour moi, l‘induction n’est que le catalyseur de votre intention et des attentes du sujet. Rien ne sert de parler d’induction si on ne parle pas de tout ce qui fait que ça fonctionne. Ce qui fait que je peux faire vivre une belle expérience hypnotique à un sujet « difficile », alors que d’autres se sont cassé les dents ? et inversement ?

Je ne fais qu’effleurer le sujet ici, on pourrait certainement en parler longtemps, et je profite de cet article pour raler un peu et passer quelques croyances. Au sujet des croyances, j’ai la croyance que je peux choisir de croire à ce qui m’arrange quand ça m’arrange, alors sentez-vous libre de croire ce qui vous plait dans cet article.

La technique de l’induction: une illusion

Si la technique suffisait, tout le monde l’appliquerait à tout le monde, et ça serait réglé. Il suffirait d’apprendre une ou deux inductions, histoire de varier, et de l’appliquer bêtement à chaque personne que nous croisons. Ca peut paraître étrange à certains, et en même temps, ça fonctionne ! Combien d’hypnotiseurs utilisent toujours la même induction avec de très bons résultats ? Et pourquoi d’autres qui utilisent la même technique se cassent les dents ?

Se focaliser sur l’induction, c’est se mettre des oeillères, c’est oublier qu’un hypnotiseur de spectacle parle pendant un moment avant de « tester » ses sujets. C’est oublier la relation qui s’installe de fait dans certains contextes, comme avec certaines personnes dans la rue où il suffit de leur dire « Hypnose », de claquer des doigts et de leur dire « Dormez » pour que cela réponde à toutes leurs attentes et croyances sur l’Hypnose. C’est oublier qu’en formation le terrain est souvent préparé par le formateur. C’est oublier les effets de groupes et tous les biais cognitifs, comme la complaisance sociale par exemple.

L’induction n’est qu’un prétexte pour utiliser des fonctionnements et passer son intention en tant qu’Hypnotiseur. Et c’est aussi un prétexte pour le sujet pour s’autoriser à changer ou à vivre une expérience.

L’Hypnotisabilité selon la science

Une étude de 2004 a démontré que les sujets hautement hypnotisables ont le rostrum beaucoup plus large que les sujets moins hypnotisables. Le rostrum est un corps calleux impliqué dans l’allocation et le transfert d’information entre les deux cortex préfrontaux. Certains hypnotiseurs ont alors pensé que seule une partie de la population était « hautement » hypnotisable. Oui, peut-être. Mais hypnotisable par rapport à quoi ? Des échelles standardisées avec des inductions standardisées sur des individus tous différents les uns les autres ? Je trouve qu’en plus d’être une idée ridicule, c’est une pensée limitante.

Bien sûr, certaines personnes répondent facilement à certains types de suggestions, mais ça ne veut pas dire que les autres ne sont pas hypnotisables. J’ai la croyance que ce qu’on appelle Hypnose n’est que le fait d’intercepter des processus cognitifs présents en permanence afin de les utiliser pour faire quelque chose avec. Tout le monde régresse tous les jours en entendant une musique, en sentant une odeur ou en regardant une photo, tout le monde vit des distorsions du temps à un moment ou à un autre, tout le monde se retrouve avec un nom sur le bout de la langue, tout le monde se retrouve à chercher ses clés alors qu’elles sont devant leurs yeux, et  il y a des dizaines d’autres exemples.

Tout l’art de l’Hypnose est de les utiliser et ce sont souvent des barrières bien différentes de la technique qui peuvent l’empêcher, et prendre le temps de lever ces barrières me parait nécessaire, et cela se passe bien avant l’induction, si toutefois l’induction a un début et une fin.

Les variables en jeu

Pour Don E. Ribbons et Steve Lynn, auteurs dans le pavé de 800 pages « Handook of Clinical Hypnosis » (Chapitre 10, Gibbons & Lynn, 2010, p. 289), une induction est toute suggestion portant l’intention de l’Hypnose.

Je voudrai évoquer quelques unes des variables proposées par les auteurs sur ce qui fait qu’un sujet répond à une suggestion :

  • Les attitudes pré-hypnotiques du client : ses croyances, ses intentions et ses attentes à propos de l’Hypnose
  • Leur capacité à penser, imaginer et à s’absorber dans les suggestions
  • Leur capacité à former une relation de confiance avec l’Hypnotiseur
  • Leur capacité à interpréter les suggestions et à percevoir leurs réponses comme des réussites
  • Leur interaction continue avec l’Hypnotiseur

Je ne dis pas qu’il faut prendre ça pour argent comptant, ni qu’il n’y a que ça qui entre en compte, mais si une induction est toute suggestion portant l’intention de l’Hypnose, et que ces paramètres entrent en jeu pour qu’une suggestion soit intégrée, il parait logique de préparer ces paramètres avant de placer la suggestion qui porte l’intention de l’Hypnose justement non ?

Bien évidemment, et c’est ce qu’on appelle communément le pretalk, ou discours pré-hypnotique.

Le pre-talk : la balle dans le chargeur

Si l’induction était une arme hypnotique, le pre-talk serait la balle dans la chargeur et le temps  de visée. Pour moi, tout ce qui se passe avant, depuis le moment où vous décrochez le téléphone avec la personne ou depuis le bonjour du pas de la porte est déjà le début de l’induction, cette « super suggestion focalisée » qui portera toute votre intention de l’Hypnose ainsi que toutes les attentes du sujet.

Si on reprend les points cités ci-dessus, comment préparer le sujet à faire l’expérience de l’Hypnose et à être réceptif aux suggestions ? Je pose les questions, je vous laisse le soin de faire vos propres réponses :

  • Les croyances, l’intention et ses attentes au sujet de l’Hypnose : Que pouvez-vous dire ou faire pour désactiver les croyances limitantes ? en activer des utiles ? comment créer de l’attente et de l’envie ? Comment l’impliquer dans l’expérience ?
  • Imaginer et s’absorber dans les suggestions :  Comment désactiver la croyance assez commune « je n’ai pas d’imagination » ? Comment l’activer et la renforcer ?
  • La relation de confiance avec l’Hypnotiseur : partie à mettre en premier je pense, sans confiance, sans rapport établi, une induction me parait prématurée. Le pre-talk permet souvent de renforcer cette relation, mais la synchronisation, une sincérité et une curiosité à l’autre me paraissent essentiels. L’absence de confiance se traduit souvent par la présence de peurs qui peuvent empêcher la personne de se laisser aller à vivre l’expérience complètement. Comment créer ce rapport ? Qu’est ce qui fait qu’une personne qui vous voit sur le pas de la porte va avoir confiance en vous ?
  • La capacité à interpréter les suggestions et à les voir comme une réussite :  Pourquoi les hypnotiseurs de rues et de spectacles commencent par des phénomènes simples avant d’enchainer sur des phénomènes de plus en plus complexes ? Comment créer et renforcer la croyance que le sujet peut vivre l’expérience et que cela fonctionne ?
  • L’interaction continue avec l’Hypnotiseur : ceci mériterait d’être précisé. De mon point de vue, c’est le leading. Comment garder l’attention du sujet, valider qu’il suit les suggestions, les questions, valider qu’il ne s’échappe pas dans sa propre transe comme une forme de résistance ?

Lorsque ces variables sont prises en compte la « super suggestion » est chargée, et il ne reste plus qu’à appuyer sur la détente pour que le sujet face l’expérience de l’Hypnose.

Bien sûr, à chaque sujet les réponses aux questions peuvent être différentes, et le pre-talk est à adapté à la personne afin de l’impliquer et de créer encore plus d’attente, c’est aussi pour ça que je ne réponds pas aux questions car elles varient. Avec certaines personnes, quelques phrases suffisent, avec d’autres, c’est un peu plus long (vous êtes bien avancés n’est-ce pas ?). Rien ne sert de balancer un discours convenu lorsque ça n’est pas nécessaire, une bonne calibration et une véritable attention aux fonctionnements de l’autre permettent souvent de l’adapter au mieux.

Enfin, je dirai que ces variables peuvent être positionnées aussi autour de l’induction. Par exemple, après avoir installé la relation de confiance, désactivé les peurs et les croyances limitantes éventuelles et créé de l’attente, il est possible de commencer une « induction », puis de faire « rêver » le sujet au travers de phénomènes hypnotiques et de s’assurer qu’il suit les interactions avec l’hypnotiseur.

Conclusion

J’ai écrit cet article car je trouve qu’on parle trop ici et là des techniques d’inductions (on voit même des livres entiers là dessus) sans parler de ce qui se passe avant, de ce qui se passe au point de pivot (l’appuis sur la détente), et juste après. L’induction, c’est comme une arme hypnotique, et parfois je trouve que beaucoup tirent un peu à blanc ou à l’aveuglette en se plaignant de sujets non-hypnotisables et sans jamais se remettre en question. Et parfois, d’autres veulent nous faire croire qu’il suffit d’appuyer bêtement sur la détente, sans charger et sans viser, et que ça fonctionne à tous les coups.

Tout peut-être une induction lorsque les variables sont là, une question peut suffire parfois et le sujet peut vivre alors une expérience de l’Hypnose fantastique, même les yeux ouverts, et même lorsqu’il pensait ne pas pouvoir le faire au début.

Vous remarquerez aussi que je n’ai pas parlé de l’intention de l’Hypnotiseur. Elle est en soit indirectement évoquée au travers des questions soulevées, car les réponses détermineront votre intention, mais je parlerai dans un autre article de l’intention et de comment nos propres croyances influent sur nos résultats.

Si vous avez aimé cet article, cliquez sur j’aime ci-dessous, et profitez des commentaires pour échanger autour de cette question :

A quelles variables faites-vous attention et comment vous chargez votre  arme hypnotique dès le début de la relation ?

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14 Commentaires

  1. Salut Laurent,

    Très bon article, plein de bon sens….

    Faire de l’hypnose, c’est bien plus qu’utiliser quelques techniques….

    C’est tout l’être qui participe à la création de ces expériences…. l’induction n’est alors que la partie émergée de l’iceberg…
    A+

    stéphane

  2. C’est tjs un plaisir de te lire Laurent. Tes articles sont trés juste et trés bien écrits.
    Merci pour ces partages.

  3. Sujet ô combien important! Et comme tu l’as si bien dit, souvent assez mal interprété. On voit, tu as raison beaucoup trop souvent le sujet de l’induction, pris d’une manière bien trop formelle. Comme s’il existait des « recettes magiques d’induction ». Or la séance d’hypnose est un art. Et on peut apprendre n’importe quel art de manière formelle. Cependant, il manquera toujours le petit plus qui fera la différence entre l’artiste et le technicien.
    Le pré-talk est déjà une induction, c’est l’étape cruciale où les barrières doivent tomber et l’on doit réellement mettre l’accent sur cette phase.

  4. C’est assez paradoxal de lire ceci en sachant que les inductions occupent facilement 40% du temps dans les formations. Enfin, principalement les formations d’hypnose ericksonienne.

    Et pourtant, je pense que sur le fond, tu as assez raison : l’induction en tant que tel n’est qu’un support, mais ce n’est pas ça qui fait l’hypnose.
    En fait, l’hypnose est une synergie de nombreux paramètres.

    Ceci étant dit, je me méfie des formateurs qui décrivent leur technique et leur théorie alors qu’ils ont oublié leurs compétences inconscientes. Et c’est tout l’art de l’hypnothérapeute : faire que ses compétences deviennent inconsciente, afin de se libérer de la technique, et être dans une autre dimension de la relation (présence, empathie ? imprévisibilité, créativité).

    C’est étonnant en tous les cas : les inductions directes basées sur la détente fonctionnent très bien.
    Mais d’autres inductions, basées sur la confusion, la dissociation, sont très intéressantes également.

    J’ai l’impression qu’on va vers une simplification de l’hypnose en ce moment, portée par la mode de l’hypnose rapide et l’hypnose de rue. C’est sans doute bénéfique. Mais il y a d’autres choses à travailler aussi. Et pour moi, c’est comme un cycle : je passe d’un domaine à l’autre, et lorsque j’atteins un plateau dans un domaine, je passe au suivant, avant d’y revenir plus tard.

  5. 40% du temps dans les formations ? On n’a pas fait la même alors 😉

    Je crois qu’il faut faire la différence entre un exercice dans une formation qui dit « 20 minutes d’induction » et qui est une façon de travailler la suggestion indirecte, la congruence, la synchronisation, la ratification etc. plus qu’un moyen d’accompagner l’autre en état d’hypnose. L’induction devient un moyen de développer sa technique de suggestions, parce qu’il n’y a pas de secret, ça ne tombe pas du ciel l’utilisation suggestive du langage, ça se travaille.

    Et pour ma part je ne dis pas dans cet article que c’est simple, je dis justement qu’une « induction », est très longue, dans le sens où cela commence dès le pas de la porte, et qu’à trop se focaliser ici et là sur le « point de pivot », et sur l’aspect technique, c’est oublier tout le reste. Il suffit de voir les jeunes hypnos de rue se casser les dents sur les inductions rapides qui n’ont pas été amenées.

    Placer quelques phrases de confusion ici et là, et des suggestions de détente (si c’est ce que tu veux suggérer), dès le début, ça reste quelques suggestions qui s’empilent au moment de l’induction.

    En fait, c’est un tout et l’induction, en tout cas la partie technique, n’est qu’une petite partie de l’iceberg, et il peut être utile de parler un peu du reste plutôt que de voir ici et là juste le « clac – dormez », qui en soit n’a pas de sens.

    Je pense que ça paraît assez évident à la plupart des hypnothérapeutes expérimentés, je n’en connais pas beaucoup qui font des inductions « formelles » longues, mais dès que le sujet passe la porte, ça commence.

  6. « A quelles variables faites-vous attention et comment vous chargez votre arme hypnotique dès le début de la relation ? »

    Au début de la relation, juste après que le client m’ait exposé l’objet de sa consultation, je lance souvent une discussion avec une question du genre : « Quelle est votre vision de l’hypnose? »
    Ça me permet d’alimenter les croyances qui m’arrangent et de désactiver celles qui peuvent entraver le travail.
    Le client peut s’exprimer librement, y compris dans ses doutes ; cette discussion permet aussi de mettre en place la synchronisation puis d’affirmer mon leading : je comprends et j’écoute ses peurs (si peurs il y a) mais en même temps je connais mieux l’hypnose que lui… donc je lui explique comment le travail sous hypnose va être un outil efficace et intéressant pour lui.

    Merci Laurent pour ton blog, tes articles, et ton e-book ( il clarifie beaucoup de questions que je me posais de manière vague.)

  7. « Ce qu’on appelle Hypnose n’est que le fait d’intercepter des processus cognitifs présents en permanence afin de les utiliser pour faire quelque chose avec. » Une définition que je trouve très bonne de l’hypnose et qui surtout qui ne contient pas le mot « Inconscient ».
    Merci pour ces articles et ces podcast toujours intéressants mais surtout fait dans un esprit de partage très agréable.

  8. A la fin de sa vie, Erickson a dit que l’état d’hypnose survenait spontanément quand la personne se sentait en confiance. Pour ma part, je considère qu’une bonne discussion ramène l’induction à cinq minutes ! L’induction n’est que le moyen de locomotion, le plus important reste le voyage de la transe 🙂 Merci pour ton très bon article, cela fait plaisir de te lire comparé à tout ce qui se dit en ce moment sur l’hypnose, sujet devenu ô combien commercial !

  9. Bonjour
    Je suis à 200% d’accord.
    Trop de thérapeutes veulent des recettes de cuisine pour des inductions ou des protocoles… Nous avons dans nos cabinets de nombreuses personnes qui sont déjà en hypnose dans leur univers, enfermée parfois dans leur souffrance… L’induction est alors bien une illusion… En se calibrant, en entrant dans leur monde, nous pouvons les guider par nos mots vers le chemin du changement. Il me parait plus important d’être dans la compréhension de la psychée de la personne que de savoir pratiquer une induction protocolaire. Si notre patient se sent entendu compris il sera en confiance et rentrera en hypnose naturellement n’est ce pas ?
    Au plaisir de lire vos articles qui sont forts intéressants

  10. Merci pour cet excellent article qui remet les choses à leurs places.
    Au plaisir de continuer à vous lire.
    Jacques de la Calle

  11. Bravo pour la clarté et la qualité de ton article, je suis totalement alignée sur son contenu. J’ai hâte de lire tes autres production et je salue les commentaires, eux aussi d’un niveau fort appréciable.

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